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1 novembre 2019

Faut-il créer un « véritable » statut professionnel pour le maire ?

« Les élections municipales ont lieu en 2020. Le statut du maire, quant à lui, évolue. Face aux difficultés à l’origine d’une crise des vocations chez les élus locaux, ses pouvoirs et ses responsabilités se sont accrus. » Retrouvez l’article de Pierre SADRAN, professeur émérite à Sciences Po Bordeaux, publié le 14 novembre 2019 sur https://www.vie-publique.fr/ : 

Le maire est une très ancienne institution. Généralisée par la loi du 14 décembre 1789, qui dispose que « le chef de tout corps municipal portera le nom de maire », elle puise sa source dans le rôle dévolu au major des temps mérovingiens qui dirigeait une exploitation pour le compte du seigneur avant que l’autorité royale ne s’attribue, à partir du XIIIe siècle, la nomination des édiles, ces magistrats municipaux inspirés de la Rome antique (André Chandernagor, Les maires en France. XIXe-XXe siècle, Fayard, 1993). C’est aussi une institution quasiment universelle, même si son statut et son rôle varient sensiblement selon les systèmes politiques.

Au cours de sa longue histoire, la fonction a connu de profondes transformations. La plus considérable fut le passage de sa désignation par le pouvoir central, dont il était l’agent, à son élection par le conseil municipal, issu du suffrage censitaire puis universel (masculin) à partir de 1848. Cela fut introduit par une loi du 28 mars 1882, qui s’appliquait partout ailleurs qu’à Paris. Dans la capitale, il n’y eut pas de maire entre 1871 et 1975. Il faudra attendre 1977 pour voir son retour à Paris, en la personne de Jacques Chirac. Un autre changement important fut l’accroissement de ses capacités d’action du fait de la politique de décentralisation initiée par la loi Defferre du 2 mars 1982. Mais, s’il a fallu du temps pour que son rôle d’agent de l’État soit progressivement supplanté par sa fonction d’autorité locale, l’essentiel demeure : la figure du maire reste centrale dans l’ordre politique, que celui-ci soit monarchique ou républicain, d’inspiration jacobine ou girondine.

Dans la période contemporaine, le maire a pourtant dû affronter de redoutables épreuves. Il lui a fallu s’accommoder de la « révolution » intercommunale. Tous les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) comportent des transferts, plus ou moins vastes, de compétences au détriment des communes. Incitations et contraintes ont progressivement amené la quasi-totalité de celles-ci à se trouver incluses dans un EPCI à fiscalité propre. Il a également dû subir la limitation drastique du cumul des mandats qui l’a privé d’une précieuse ressource : la détention simultanée d’un mandat parlementaire. Mais il suffit de se reporter à quelques péripéties récentes pour constater qu‘il n’a rien perdu de son importance. C’est en s’appuyant sur les maires que le président Macron a lancé le « Grand débat national » censé apporter des réponses à la crise ouverte par les Gilets jaunes. L’une d’entre elles se trouve justement dans le projet de loi dit « Engagement et proximité » qui se préoccupe d’améliorer le statut du maire et de renforcer son rôle.
Et, à l’approche des élections municipales, dont le premier tour aura lieu le 15 mars 2020, les efforts déployés par la majorité LREM (La République En Marche) pour s’implanter dans les mairies disent bien l’intérêt qui s’attache au contrôle de cette position élective.

Quels sont les pouvoirs et les responsabilités du maire sur la commune ? Quels sont les organes de contrôle de l’action du maire ?

Le maire est le patron de sa commune. Élu non pas directement par la population mais par son conseil, il concentre entre ses mains l’essentiel du pouvoir municipal.

D’une part, le mode de scrutin des villes de plus de 1 000 habitants lui garantit la disposition d’une majorité large et solide. Le leadership du maire s’affirme d’emblée avec la confection de la liste, qui relève de sa responsabilité. C’est en réalité le maire qui fait élire son conseil, plus que l’inverse. Sa propre élection par la majorité municipale n’est plus, sauf rarissime exception, qu’une formalité. S’il agit sous le regard de son opposition, les délibérations ne sont pas de nature à le mettre en danger. Pour l’essentiel, seules des décisions préparées et déjà prises en amont parviennent en séance, si bien qu’elles ne font que confirmer que l’opposition est minoritaire. Le maire n’a à craindre que la chambre régionale des comptes (CRC) qui, hormis le jugement des comptes qui intervient a posteriori, peut faire jouer le contrôle budgétaire en cas de non-respect des règles légales, et surtout peut donner une publicité à ses observations sur sa gestion, ce qui peut fournir des arguments à l’opposition et nourrir les futures polémiques électorales. En fait, le seul contrôle véritable est celui du corps électoral qui n’intervient que tous les six ans, pour sanctionner, positivement ou négativement, l’action du maire.

D’autre part, celui-ci dispose d’une véritable hégémonie sur tous les autres acteurs de la vie municipale. En sus de l’exécution des délibérations du conseil, il a des pouvoirs « propres » (qui n’ont pas à se fonder sur une délibération préalable) considérables, tels que le pouvoir de police municipale et celui de nomination. Il peut agir sur la base des délégations que le conseil lui a données au lendemain de son élection (et qui en pratique ne sont jamais retirées). De plus, il est seul chargé de l’administration de la commune, attribue et retire de façon discrétionnaire des délégations à ses adjoints ou à des conseillers municipaux.

Il est en même temps autorité exécutive de la commune et agent de l’État au sein de la circonscription communale : à ce dernier titre, il remplit, pour le compte de l’État, des fonctions importantes qui ne sont pas soumises au droit de regard du conseil (état civil, organisation des élections, certaines polices spéciales, par exemple la police des baignades et activités nautiques).

Il est enfin la seule autorité permanente de la commune alors que le conseil municipal ne se réunit qu’une fois par trimestre, à moins qu’il ne décide de le convoquer.

L’ambivalence de son statut – agent de l’État central et incarnation de la « cellule de base de la démocratie » – lui confère une place privilégiée reflétant la nature de notre République territoriale, fondée sur la relation étroite entre l’unité du centre et la diversité de ses composantes périphériques. C’est sans doute la raison pour laquelle le maire est le seul élu à être moins touché par l’actuelle crise de la représentation politique. Même s’il en est aussi affecté, il conserve une cote de confiance sans équivalent parmi les différentes catégories d’élus. Ainsi, par exemple, le dernier baromètre de la confiance politique publié par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) montre que 58% des Français font confiance à leur maire, contre 23% pour le président de la République et 9% pour les partis politiques.

Pendant l’exercice de son mandat, le maire bénéficie-t-il d’un « véritable » statut professionnel ?

Il y a beau temps que la formule de Montaigne, maire de Bordeaux entre 1581 et 1585 « La charge de maire semble d’autant plus belle qu’elle n’a ni loyer ni gain autre que l’honneur de son exécution » n’a plus cours, si ce n’est dans de petites communes rurales où le bénévolat de fait d’une personnalité locale ne reçoit guère d’autre gratification que la considération de ses concitoyens. Au fil du temps, les fonctions et responsabilités se sont peu à peu additionnées pour faire de ce mandat un véritable métier relevant d’une forme de professionnalisation. La loi n°92-108 du 3 février 1992 codifie les indemnités de fonction (indexées sur l’importance démographique de la cité), et met en place un droit à la formation et un régime de congés et de retraite. Même incomplet et évidemment perfectible, il s’agit bien d’un statut.

Pourtant, la revendication d’un « véritable » statut de l’élu local réapparaît régulièrement dans le débat public. Peut-être est-ce en raison d’un tropisme issu des vertus prêtées communément au statut de la fonction publique, alors même que la fonctionnarisation des maires est une hypothèse constamment et unanimement rejetée. La professionnalisation de la fonction s’est néanmoins mise en place, de bricolages en mesures partielles, dans un pays qui compte près de 35 000 communes, tout en maintenant l’uniformité de leur organisation statutaire. Dans l’exercice de son mandat, le maire dispose toujours d’une prééminence affirmée. C’est en amont (accès au mandat) et en aval (sortie du mandat) que se posent des questions aujourd’hui mal résolues.

A l’entrée et à la sortie de son mandat, quels sont les défis que le maire doit relever ?

La « crise des vocations » qui touche les candidatures à la fonction n’en est que plus vivement ressentie car elle est nouvelle. Pour la première fois en 2014, 64 communes n’avaient enregistré aucune candidature, d’après le rapport d’information du Sénat fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (Rapport d’information n° 642, Sénat, session extraordinaire 2017-2018). Or, les annonces émanant de ceux qui, dans la perspective des élections de 2020, disent renoncer à se représenter, laissent présager une évolution préoccupante, même si elle ne touche pas encore les villes importantes. Moins le maire dispose de moyens administratifs et financiers, plus il se trouve exposé à un angoissant effet de ciseaux.

D’un côté, il se trouve confronté aux exigences sans cesse croissantes d’une population qui porte vers le haut la demande d’aménités : les citadins sont de plus en plus demandeurs d’espaces verts, tandis que les « nouveaux ruraux » ou les « rurbains » prétendent importer leur mode de vie dans les communes rurales.
En outre, les citoyens n’hésitent pas à mettre en cause, y compris au pénal, la responsabilité des élus. Le maire, qui délivre les permis de construire au nom de la commune et dont la gestion est surveillée par les organismes et associations légitimement soucieux d’éthique publique, se trouve de plus en plus exposé à la « judiciarisation » de l’action publique (urbanisme, conflits d’intérêts, etc.).

D’un autre côté, le maire doit faire face à la complexité croissante de l’action publique, saturée de normes, alors que le retrait progressif des administrations déconcentrées des territoires l’érige en interlocuteur incontournable et en ultime recours. Un questionnaire auquel les maires ont massivement répondu, et qui a servi de base au rapport d’information du Sénat n° 642, montre que trois grandes préoccupations les animent : la difficulté à concilier le mandat avec la vie professionnelle et personnelle, les risques encourus, et la lourdeur de la tâche. Le jeu en-vaut-il toujours la chandelle ?
Ceux – encore majoritaires – qui répondent positivement à la question doivent alors éviter un nouvel écueil, celui de la sortie du mandat. Le passage par celui-ci ne doit pas être vécu comme pénalisant. Or, le mandat n’est plus désormais l’extension « naturelle » d’une notabilité sociale dont on pouvait se satisfaire en cas d’échec électoral. Et les perspectives qu’offrait le jeu du cumul des mandats ont disparu du fait de sa limitation drastique par la loi du 14 février 2014. Aujourd’hui, s’engager dans un mandat de maire s’apparente à une vocation sacerdotale qui attire moins. La sortie du mandat n’est ni préparée ni accompagnée. Si quelques dispositifs existent (allocation différentielle de fin de mandat pour les élus ayant cessé d’exercer leur activité professionnelle pour se consacrer à leur mandat, validation des acquis de l’expérience, formations diplômantes), elles sont méconnues et insuffisantes pour rassurer les maires. D’autant que la perspective d’une limitation du cumul des mandats dans le temps, même si elle semble aujourd’hui moins probable et qu’elle est écartée pour les petites communes, ne permettrait plus de se perpétuer dans la fonction. Cela crée une nouvelle incertitude.

Ce double écueil, en amont et en aval du mandat, est pour beaucoup, dans les distorsions de représentation qui caractérisent un groupe d’élus confronté à une double injonction, perçue comme contradictoire : sommés d’être toujours plus disponibles, efficaces et compétents, les maires sont en même temps bridés par le refus persistant d’une professionnalisation assumée. Cela contribue à dissuader plusieurs catégories de citoyens de se lancer dans l’aventure et à concentrer l’éligibilité (au sens sociologique) des maires sur des profils particuliers. Pour le dire de façon un peu provocante, le profil type du maire d’aujourd’hui est celui d’un homme blanc, âgé de plus de 50 ans et retraité d’une catégorie moyenne ou supérieure. Les femmes, les ouvriers et employés, les jeunes actifs, les personnes issues de la diversité sont largement écartés.

Le cas des femmes est révélateur : depuis les lois sur la parité, il existe un vivier constitué par plus de 48% des membres des conseils municipaux des villes de plus de 3 500 habitants. Or, le plafond de verre les limite à 16% des maires, et elles ne sont que 7 (sur 42) à se trouver à la tête d’une ville de plus de 100 000 habitants. Inversement, l’âge médian des maires (60 ans) est supérieur à celui des députés, et les retraités représentent 42% d’entre eux. Pour les villes de plus de 30 000 habitants, les collaborateurs d’élus et cadres territoriaux fournissent près de 30% de l’effectif des maires (Pierre Sadran, La République territoriale. Une singularité française en question, La Documentation Française, 2015).

Ces distorsions de représentation ont évidemment des causes plus larges et plus profondes que celles qui tiennent au statut. Mais celui-ci y a sa part. C’est pourquoi le gouvernement a déposé, le 17 juillet 2019, un projet de loi dit « Engagement et proximité » qui vise à apporter des réponses aux difficultés identifiées. En parlant des maires, Emmanuel Macron avait déclaré lors du Grand débat : « Je veux conforter leur rôle par un statut digne de ce nom ». Clairement ciblé sur les petites communes, le projet introduit de nouvelles dispositions visant à faciliter l’engagement dans la compétition électorale, à mieux rétribuer la fonction en atténuant les effets de seuil du barème, à améliorer la formation, notamment pour rendre plus facile la reconversion des élus, à prendre en charge la protection juridique du maire quand sa responsabilité est engagée, etc. Loin d’être anodines, ces mesures restent pourtant dans la logique traditionnelle de l’ajustement, plus que dans celle d’un changement de doctrine prenant acte du besoin de donner un véritable statut professionnel à la fonction de maire. Sans doute bute-t-on ici sur un obstacle récurrent et quasi-insurmontable : l’éparpillement communal et le fossé qui, dans la réalité, sépare les villes de quelque importance et les villages.

Quelle est la place du maire au sein de l’intercommunalité ?

Le maire reste incontournable. Sur le territoire de la commune, il fut pendant longtemps exclusif. Cela signifie que le statut de maire donnait, ou du moins facilitait considérablement l’accès aux positions plus élevées de la politique nationale (député, sénateur, ministre parfois), ce qui, en retour, fournissait à l’intéressé des ressources d’influence dont il faisait bénéficier ses administrés, accroissant du même coup ses chances de réélection. Le cumul vertical, dont la figure du député-maire était la plus emblématique, constituait l’ingénieux support d’une professionnalisation politique efficace, quoique réservée à une minorité de grands élus.

Ce temps est révolu depuis 2017, lorsque fut mise en œuvre la réforme de 2014. Mais la culture du cumul ne s’est pour autant pas évaporée. D’après une communication présentée à la journée d’études du Centre Emile Durkheim (Sciences Po Bordeaux), le 11 mars 2019, près de 300 députés et les deux tiers des sénateurs ont conservé un mandat local non-exécutif. De leur côté, les maires se sont repliés sur des cumuls dits horizontaux au niveau des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et des conseils départementaux et régionaux (sachant qu’il est interdit de cumuler deux exécutifs locaux). On a constaté une hausse d’environ 10% de ces cumuls locaux depuis 2017, ce qui traduit le souci pérenne des maires d’arrondir leur capital d’influence politique au profit de leur commune.

Il est vrai que leur position se trouve aujourd’hui concurrencée par le développement de l’intercommunalité. Le maire doit accepter un partage du pouvoir, plus ou moins contraint et plus ou moins large, selon le degré d’intégration de l’établissement public. Mais la légitimité élective reste de son côté. Certes, le fléchage des futurs élus communautaires sur les listes municipales permet à l’électeur de savoir quels sont les élus susceptibles de siéger dans l’assemblée intercommunale. Mais le lobbying des associations de maires a obtenu que le dispositif soit fondé sur deux piliers : la concomitance de l’élection municipale et de l’élection intercommunale d’une part, et le maintien de la commune comme circonscription électorale de l’autre. Ainsi, la perception des enjeux par le citoyen reste municipale. Dans ces conditions, le maire conserve l’essentiel de son pouvoir.

Dans les métropoles, depuis longtemps accoutumées à la cogestion, celle-ci passe par le bureau des maires, véritable lieu de la délibération. Si cette cogestion empiète un peu sur l’autonomie de chacun d’entre eux, c’est surtout une manière de donner aux maires l’assurance mutuelle que chacun restera « maître chez lui » : on ne peut guère lui imposer sur son territoire une décision contraire à ses vœux. Or, dans les autres EPCI, le projet de loi dit « Engagement et proximité » entend « remettre les maires au cœur de l’intercommunalité » en rectifiant sur de nombreux points ce dont la loi du 7 août 2015 dite loi NOTRe les avait privés. Ainsi, par exemple, il est prévu que le maire puisse recevoir une délégation de signature de la part de l’intercommunalité pour prendre certaines décisions (par exemple la réparation d’une route communale), qu’il devienne autorité fonctionnelle sur tel ou tel service ou établissement intercommunal, ou qu’il puisse se faire représenter par un des élus de son conseil municipal aux réunions de l’intercommunalité. Mais surtout, la création d’un « conseil des maires » au sein des intercommunalités est grandement facilitée : il suffira d’obtenir, soit l’accord de l’EPCI, soit celui de 30% des maires. Dès lors, elle deviendra très vite la règle et renforcera de toute évidence la position de chacun d’entre eux.
Le temps des maires est de retour. Il n’avait, à vrai dire, jamais disparu.