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29 avril 2019

Le président de l’ANEL accorde une interview au Moniteur – 26 avril 2019

Retrouvez l’interview du président de l’ANEL Jean-François Rapin « Construire sur le littoral après Elan », par Nathalie Coulaud :

Construire sur le littoral après Elan

Pour répondre à la demande de logements, les règles d’urbanisme sont assouplies. Au risque de casser l’équilibre fragile entre protection de l’environnement côtier et urbanisation ?

Le littoral fait l’objet de toutes les convoitises. L’Observatoire national de la mer et du littoral (ONML) estime qu’il possède 2,7 fois plus de zones urbaines et industrielles et de réseaux de communication que la moyenne nationale. Avec 6 millions de résidents permanents sur 4 % du territoire, la densité de population y est 2,5 fois plus élevée que dans le reste du pays. A cette pression, s’ajoute le poids du tourisme : la capacité d’accueil des communes maritimes est, en effet, estimée à 7 millions de lits.

De plus, l’artificialisation des sols se poursuit et entraîne la disparition progressive des terres agricoles et l’appauvrissement des milieux naturels. Dans certains territoires, l’équilibre entre urbanisation, activités agricoles et touristiques se fait donc difficilement, comme dans le bassin de Thau (Hérault) où toute urbanisation supplémentaire accentue le ruissellement des eaux polluées dans l’étang, ce qui nuit ensuite à la culture des huîtres. « Nous devons veiller à préserver la côte, la lagune et les salines à travers notamment nos décisions d’urbanisme », explique François Commeinhes, maire de Sète et président de Sète Agglopôle Méditerranée.

Depuis plus de trente ans, l’urbanisation du littoral repose sur la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite « loi Littoral ». Au cours de cette période, les enjeux se sont accentués et la jurisprudence a redessiné les contours de ce texte. La loi Elan, dans ses articles 42, 43 et 45, y apporte des modifications dans le but de faciliter l’urbanisation. « A priori , l’assouplissement semble léger mais cela dépendra de la façon dont les changements seront appliqués localement, et de la jurisprudence qui en découlera », estime Laurent Bordereaux, professeur en droit du littoral et portuaire à l’université de La Rochelle.

Les Scot en première ligne

La loi Elan donne un nouveau rôle aux schémas de cohérence territoriale (Scot). Ces documents doivent désormais définir les critères d’identification des villages, des agglomérations et surtout des autres secteurs déjà urbanisés prévus à l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, ainsi que leur localisation. Ces critères serviront à définir les possibilités d’extension de l’urbanisation et seront ensuite repris dans le plan local d’urbanisme (PLU), ce dernier devant être compatible avec le Scot. Le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (Padduc), qui joue le rôle d’un Scot, devra lui aussi déterminer les critères d’identification de ces espaces.

Dispositions transitoires. Afin d’éviter que les villes soient contraintes d’attendre la révision des Scot avant d’urbaniser, des dispositions transitoires ont été mises en place. Pour identifier les nouveaux secteurs constructibles, les Scot et les PLU peuvent faire l’objet d’une procédure de modification simplifiée, plus rapide. Mais plusieurs conditions sont posées : la Commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) doit être consultée, et la procédure engagée avant le 31 décembre 2021. Les constructions ne devront pas avoir pour effet d’étendre le périmètre du bâti existant, ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Jusqu’au 31 décembre 2021, des permis de construire peuvent être délivrés dans des espaces urbanisables en dehors des agglomérations et villages, mais pas encore identifiés par des Scot et délimités par des PLU. Le préfet doit cependant donner son avis avant l’octroi du permis.

La densification des secteurs déjà urbanisés

Avec la loi Elan, dans ces nouveaux « secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages » que le Scot a identifiés et qui ont été délimités par le PLU, des constructions et installations peuvent désormais être autorisées. « La première conséquence est qu’il est désormais possible d’urbaniser des dents creuses qui n’étaient jusqu’alors pas constructibles », explique Michel Dubromel, président de France Nature Environnement (FNE).

Garde-fous. La loi a toutefois encadré cette urbanisation : tout d’abord, la construction dans la bande littorale de 100 mètres et dans les espaces proches du rivage reste interdite. De plus, lorsqu’il identifie les secteurs à densifier, le Scot doit tenir compte des paysages, de l’environnement, des particularités locales et de la capacité d’accueil du territoire. Le Scot puis le PLU ne pourront donc pas désigner n’importe quelle parcelle comme une dent creuse constructible. « Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs » (art. L. 121-8 du C. urb. ). Pour Pierre Jean-Meire, avocat au barreau de Nantes, « le nombre de constructions ne semble pas être un critère à prendre en compte pour qualifier une zone de secteur urbanisé ». Mais l’utilisation de la locution « entre autres » laisse « une porte ouverte pour permettre, notamment aux magistrats, d’exiger qu’il y ait un certain nombre de constructions », précise-t-il.

Par ailleurs, dans ces secteurs, les constructions et installations ne pourront être autorisées que dans le but d’améliorer l’offre de logements, d’hébergement ou d’implantation de services publics. Enfin, la demande de permis de construire doit être soumise pour avis à la CDNPS qui peut refuser de le délivrer si les constructions ou installations sont de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux paysages. Mais, pour FNE, cette limite reste insuffisante : « Cette commission n’est pas toujours en mesure de jouer le rôle de garde-fou en raison du poids des élus. De plus, elle autorise souvent des dérogations. Quant aux préfets, faute de moyens, ils n’arrivent pas à exercer un contrôle sérieux sur les documents d’urbanisme côtiers qui autorisent ensuite des permis contraires à la loi Littoral. »

Le Scot puis le PLU ne pourront pas désigner n’importe quelle parcelle comme une dent creuse à urbaniser.

Exit les hameaux nouveaux intégrés à l’environnement.

Ladite loi Littoral prévoyait que l’extension de l’urbanisation devait se réaliser, soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement. Ces derniers disparaissent et sont remplacés par cette nouvelle catégorie de zones que les Scot doivent identifier : les secteurs déjà urbanisés.

En Bretagne, ces mesures sont particulièrement importantes car la campagne comprend de nombreux hameaux. Il s’agit souvent de fermes anciennes autour desquelles se sont peu à peu développés des villages. « Permettre l’urbanisation de ces anciens hameaux va créer une empreinte écologique forte car les habitants, ne travaillant pas sur place, prennent leur voiture pour tout déplacement. Cela nécessite aussi d’avoir des services publics comme des médecins ou des écoles. L’empreinte carbone y sera alors très élevée », explique-t-on à l’association Les Amis du golfe du Morbihan.

Volonté politique. Ultime nouveauté dénoncée par les associations : la disparition de la nécessité de veiller à ce que l’urbanisation nouvelle soit intégrée à son environnement. La législation précédente incitait à une réflexion d’ensemble qui permettait cette intégration des hameaux. Les projets étaient parfois présentés avec des plans-masses et un volet paysager justifiant la protection de l’environnement. Désormais, il n’y a plus ce type d’obligation, et seule la volonté politique, à travers les Scot et le PLU, peut permettre de ne pas miter le paysage.

Pour Georges Bonnet, adjoint au maire de Biganos (Gironde), il faut favoriser dans les PLU une redensification du centre-bourg et non des terrains en périphérie : « Sur la commune, une ZAC d’une quinzaine d’hectares a été réalisée dans le quartier proche de la gare pour accueillir de nouveaux logements. Le foncier disponible situé au milieu des lotissements est également maintenu en zone constructible, ce qui permet de loger la population qui est passée de 5 000 à 11 000 personnes en vingt ans. » Gageons que cette volonté politique est partagée par le plus grand nombre.

Immobilier – « L’obligation de logements sociaux s’articule mal avec les possibilités d’urbanisation » Jean-François Rapin, président de l’Association des élus du littoral (Anel)

« La loi Littoral, qui a fixé le développement de l’urbanisme sur nos côtes, date de plus de trente ans.

Or, de nombreux éléments ont changé depuis et des contraintes nouvelles pèsent sur les élus. L’obligation de construire 25 % de logements sociaux, par exemple, ne tient pas compte des faibles possibilités d’urbaniser dans certaines communes en bord de mer.

Certaines d’entre elles sont également asphyxiées économiquement. La loi Elan est donc la bienvenue car elle ouvre des perspectives.

Grâce à l’urbanisation de dents creuses, elle peut donner à des espaces en friche au milieu d’espaces déjà urbanisés une nouvelle utilité avec la construction de logements. Cela ne veut pas dire qu’il faut urbaniser partout et de n’importe quelle façon. Il faut protéger ce qui doit l’être et regarder au cas par cas ce que sont les projets. Nous allons aussi être confrontés, ces prochaines années, à une érosion accrue et à une montée du niveau de la mer. Les textes devront sans doute être adaptés à cette situation. »

Contentieux – « La loi Elan va ouvrir la boîte de Pandore » Jean-Pierre Bigorgne, président de l’Union des associations pour la défense du littoral

« Avec la loi Littoral, tous les acteurs avaient conscience que l’urbanisation en bord de mer était difficile, et cela limitait les volontés de bétonner nos côtes. Même si la loi Elan ne permet pas une urbanisation débridée, le message qui sera transmis est que construire en bord de mer va être plus facile, et l’on risque de voir des promoteurs ou des élus locaux tenter leur chance.

Parfois, ces projets ne seront pas légaux mais il suffit que les riverains manquent de vigilance pour que les constructions se fassent. Certes, l’Etat, avec son contrôle de légalité, pourrait y mettre un coup d’arrêt, mais bien des permis échappent à sa surveillance. Les associations peuvent agir de leur côté mais la loi Elan limite aussi leurs possibilités de recours, et la situation du littoral risque d’empirer. Se pose aussi la question de l’interprétation de la loi par les tribunaux.

Jusqu’à présent, les juridictions avaient une interprétation stricte de la loi Littoral. Mais l’esprit du texte est aujourd’hui beaucoup plus souple. Peut-être que les magistrats tiendront compte de ces évolutions. »